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vie repart.
Et d’abord il eut l’impression non de décoller mais
de s’enfermer dans une grotte humide et froide, battue
du grondement de son moteur comme de la mer. Puis
d’être épaulé par peu de chose. De jour, la croupe ronde
d’une colline, la ligne d’un golfe, le ciel bleu bâtissent
un monde qui vous contient, mais il se trouvait en
dehors de tout, dans un monde en formation, où les
éléments sont encore mêlés. La plaine se tirait,
emportant les dernières villes, Mazagan, Safi, Mogador,
qui l’éclairaient par en dessous comme des verrières.
Puis les dernières fermes luirent, les derniers feux de
bord de la terre. Soudain il fut aveugle.
« Bon ! voilà que je rentre dans la mouscaille. »
Attentif à l’indicateur de pente, à l’altimètre, il se
laissa descendre pour se dégager du nuage. La faible
rougeur d’une ampoule l’éblouissait : il l’éteignit.
« Bon, j’en suis sorti, mais je n’y vois rien. »
Les premiers sommets du petit Atlas passaient
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invisibles, silencieux, entre deux eaux, comme des
icebergs à la dérive : il les devinait contre son épaule.
« Bon, ça va mal. »
Il se retourna. Un mécanicien, seul passager, une
lampe de poche sur les genoux, lisait un livre. La tête
penchée émergeait seule de la carlingue avec des
ombres renversées. Elle lui parut étrange, éclairée par
en dedans à la manière d’une lanterne. Il cria « Hep ! »
mais sa voix se perdit. Il frappa du poing sur les tôles :
l’homme, émergeant de sa lumière, lisait toujours.
Quand il tourna la page, son visage parut dévasté.
« Hep ! » lança encore Bernis : à deux longueurs de
bras cet homme était inaccessible. Renonçant à
communiquer il se retourna vers l’avant.
« Je dois approcher du cap Guir, mais je veux bien
que l’on me pende... ça va très mal. »
Il réfléchit :
« Je dois être un peu trop en mer. »
Il corrigea sa route à la boussole. Il se sentait
bizarrement rejeté au large, vers la droite, comme une
jument
ombrageuse,
comme
si
réellement
les
montagnes, à sa gauche, pesaient contre lui.
« Il doit pleuvoir. »
Il étendit sa main qui fut criblée.
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« Je rejoindrai la côte dans vingt minutes, ce sera la
plaine, je risquerai moins... »
Mais tout à coup, quelle éclaircie ! Le ciel balayé de
ses nuages, toutes les étoiles lavées, neuves. La lune...
la lune, ô la meilleure des lampes ! Le terrain d’Agadir
s’éclaira en trois fois comme une affiche lumineuse.
« Je me fous bien de sa lumière ! j’ai la lune... ! »
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II
Le jour à Cap Juby soulevait le rideau et la scène
m’apparaissait vide. Un décor sans ombre, sans second
plan. Cette dune toujours à sa place, ce fort espagnol, ce
désert. Il manquait ce faible mouvement qui fait, même
par temps calme, la richesse des prairies et de la mer.
Les nomades aux lentes caravanes voyaient changer le
grain du sable et dans un décor vierge, le soir,
dressaient leur tente. J’aurais pu ressentir cette
immensité du désert au plus faible déplacement, mais
ce paysage immuable bornait la pensée comme un
chromo.
À ce puits répondait un puits trois cents kilomètres
plus loin. Le même puits, le même sable en apparence
et les plis du sol disposés de même. Mais, là-bas, c’était
le tissu des choses qui était neuf. Renouvelé, comme de
seconde en seconde la même écume sur la mer. C’est au
second puits que j’aurais senti ma solitude, c’est au
puits suivant que la dissidence eût été vraiment
mystérieuse.
Le jour s’écoulait nu et non meublé d’événements.
C’était le mouvement solaire des astronomes. C’était,
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pour quelques heures, le ventre de la terre au soleil. Ici
les mots perdaient peu à peu la caution que leur assurait
notre humanité. Ils n’enfermaient plus que du sable. Les
mots les plus lourds comme « tendresse », « amour » ne
posaient dans nos cœurs aucun lest.
Parti à cinq heures d’Agadir, tu devrais avoir atterri.
« Parti à cinq heures d’Agadir, il devrait avoir
atterri.
– Oui, mon vieux, oui... mais c’est du vent sud-est. »
Le ciel est jaune. Le vent dans quelques heures
bousculera un désert modelé, pendant des mois, par le
vent nord. Jours de désordre : les dunes, prises de biais,
filent leur sable en longues mèches, et chacune se
débobine pour se refaire un peu plus loin. [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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